9 octobre 2013 : premières recherches ... ou comment un nounours perdu il y a 60 ans me guide dans mes premières recherches
Une enfance bercée par la légende un peu mythique de "Tana", par l'écho des paroles parentales me faisant rêver au Palais de la Reine, aux magiques arbres du voyageur qui sauvent le malheureux marcheur assoiffé, aux magnifiques fruits de cocagne, au merveilleux flamboyant, à ma nourrice Bernadette et son fils Victor, mon petit copain de jeux. En voilà assez pour tenter de retrouver ce qui a fait ma différence quand j'étais encore un petit "zazakely", un enfant malgache.
Les archives familiales ne m'ont livré que peu d'indices. Quelques photos et un petit bout de papier jauni d'à peine 10cm sur 15 sont mes seuls indices. Ce document écrit par ma nourrice malgache évoque l'envoi de mon nounours que j'avais oublié à Tananarive, ce qui certainement m'avait rendu insupportable à mes parents lors de notre retour en France en 1953 ! Mais sur ce bout de papier est mentionné l'adresse de l'époque de ma nourrice Bernadette.
"Chère Madame, Voilà le nounours que vous vous m'avez demandez. Et je demandez bien la prière au bon Dieu de la bonne santé et bon voyage dit le petit Victor. Bon voyage, bon santé, Monsieur, madame, petit Alain"
Muni de cette adresse, et avec l'aide de mon chauffeur malgache, je pars immédiatement mais sans beaucoup d'espoir, tant cette ville semble surpeuplée et anarchique, à la recherche de ma nourrice. Ma première idée de passer des annonces dans la presse locale paraît vite inadaptée à mon chauffeur qui m'explique que les gens du peuple ne lisent pas les journaux, qu'au demeurant bien souvent ils ne savent pas lire et qu'en plus ils n'ont pas d'argent à dépenser pour un journal alors qu'ils ont à peine de quoi manger. Il ne faut pas oublier qu'ici environ 80% de la population vit au dessous du seuil de pauvreté (1 euro / jour). C'est donc avec cette seule adresse que nous partons enquêter vers les différents bureaux de quartier, sorte de mairies annexes. Petit à petit, je sens que nous progressons et que nous nous rapprochons du but. Heureusement les adresses et les numéros par "lot" n'ont pas été modifiées depuis le départ des français en 1960. Une fois l'espace à explorer défini, nous questionnons les passants ce qui nous permet d'encore mieux cerner cette adresse. Bientôt on nous dirige vers un des très nombreux escaliers de cette ville construite sur douze collines sacrées. Ah! les escaliers ... Que ne m'en a-t-on pas décrit les risques et la terrible chute maternelle. C'est donc avec émotion que je les emprunte.
Puis enfin un quidam nous mène devant un terrain à flanc de colline, dans le quartier du Palais de la Reine, où se dresse une maison. Elle est abandonnée car on nous informe que le terrain a été vendu pour y construire un hôtel. Nous sommes prés du but mais l'urbanisation anarchique et les glissements de terrain ont profondément modifié la géographie du site.
Une petite marchande qui tient un modeste étal quelques mètres plus bas, voyant notre intérêt pour cette maison, vient bientôt nous rejoindre.
Elle nous apprend qu'elle habite juste sous cette fameuse maison et qu'elle se nomme Thérèse Robako. Je dresse l'oreille. Le nom correspond. Les questions fusent.
- Comment se prénommait votre mère ?
- Thérèse !
Mauvaise réponse me dis-je. Mais son âge ne la désigne pas à être la fille de mon ancienne nourrice, mais plutôt sa petite-fille.
- Et quel était le prénom de votre grand-mère ?
- Bernadette !
Bingo.
- Et cette grand-mère, elle avait des fils, quels étaient leurs prénoms ?
Suit une liste des nombreux enfants de Bernadette, dont un certain "Tor" que mon chauffeur m'indique comme étant un diminutif de Victor. Je sens l'émotion me gagner. Mais méfiant je continue à poser des questions. Et bientôt elle me révèle que sa grand-mère aujourd'hui décédée travaillait dans une famille "vasa" (de français blancs), et que la dame avait fait une grosse et mémorable chute dans les escaliers. J'ai maintenant la quasi certitude d'avoir devant moi la petite fille de ma nourrice. Quelle chance de faire la connaissance de sa descendante. Longtemps nous nous entretenons, et l'émotion est commune. Nous nous promettons de nous revoir lors d'un de mes prochains passages à Tana et nous nous quittons encore émus de ces retrouvailles.
Alors que nous remontons à notre voiture, une jeune fille envoyée par Mme Robako nous demande si je souhaite rencontrer les enfants de Victor, décédé lui aussi voilà une quinzaine d'années. Nous allons les saluer. Malheureusement ils font partie de cette génération qui n'a pas appris à parler le français et le dialogue s'avère difficile.